A la lecture de la réflexion proposée pour cette journée, ce sont les expériences de ma rencontre avec la folie qui ont surgi: les souvenirs de ces petites paroles énoncées parfois en se croisant dans les couloirs, les rencontres éphémères au cours desquelles, à notre plus grande surprise, nos paroles pouvaient et sur le corps et sur le psychisme faire de l’effet, l’étrangeté des déplacements des corps dans l’espace des allées, entre les pavillons, dans les couloirs leur immobilité dans les dites « salle de vie ».
Ce fut l’expérience des effets de « l’environnement » sur les corps, la capacité d’un sujet à habiter son corps, ou de s’ouvrir à cette potentialité.
Je parle d’adultes. Mon expérience clinique est celle des adultes. L’expérience de l’analyste est celle également des adultes. Dans les cures, j’ai retrouvé la question de l’environnement. S’y retrouvaient les effets psychiques de l’environnement sur la potentielle parole des analysants et son lien à la manière de pouvoir habiter son corps.
Ces associations, ces images m’étonnaient. Pour cette journée, j’avais intitulé mon propos Les Mille et une rencontres d’Eros et Psyché. Je pensais continuer sur la question de l’ancrage archaïque de la sexualité que les élaborations winnicottiennes m’accompagnent à penser. Tout en m’appuyant sur le mythe de la rencontre d’Eros et Psyché, m’appuyant sur les contes oraux grecques. Ces contes mis au travail par ma collègue et amie Anna Angelopoulos et que vous trouverez dans son livre Les Contes de la nuit grecque (éd. Corti).
Mais voilà, à la relecture de l’argument, le désir devint de partager avec vous les questions que j’ai retrouvées dans ces de ces deux champs de ma pratique: qu’il s’agisse de la clinique hospitalière, de la clinique de la psychose ou les cures en libéral, se retrouve, pour moi ce lien indissociable entre deux questions soulevées immanquablement par les cures et la rencontre avec les personnes psychotiques à l hôpital :
Le lien indissociable entre :
- Qu’est -ce qu’habiter son corps ?
Et ,
- Qu’est- ce que parler veut dire ?
Ce fut une joie d’entendre Maldiney, au cours d’un débat faisant suite à la projection du film de Jo Manenti : le Moindre Geste. Y était présents Oury , Maldiney Jo Manenti et celui qui le film monta. Maldiney bougonna : «Les linguistes ne se préoccupent pas de ce que parler veut dire. » (Je cite de mémoire). Une joie de l’entendre. Notre métier nous amène à nous en préocuper, n’est-ce pas, de ce que parler veut dire ?
Donc
- Qu’est ce que parler veut dire
- Et
- la question « du corps » quand elle se pose à l analyste .
C’est à partir de ce lien entre ces deux questions que je voudrais, cet après-midi partager avec vous ce qu’elles permirent, de formuler à partir des élaborations de Winnicott. Donc, si le conte et la scène qu’il crée y a toujours sa place ce ne sera pas seulement concernant la question de la sexuation. Je parlerai des Mille et une aventures d’Eros et Psyché; mais différemment de ce que j’imaginais.
Votre argument projet de réflexion m’a replongé dans l’intérêt pour le livre la Nature Humaine. Lecture qui m’a passionnée. Mes collègues du groupe de lecture ont partagé et subi mon enthousiasme envahissant né cette lecture.
Mais, je repartirai de l’expérience clinique :
La clinique hospitalière puis, l’expérience du transfert dans les cures, l’engagement de l’analyste dans le transfert, le travail psychique du psychanalyste dans le transfert.
Winnicott est, parmi les analystes un de ceux qui s’aventura dans le monde de la psychose. Son élaboration à partir de son expérience de pédiatre et de son approche du monde de la psychose a donné forme à une singulière conception de l’appareil psychique. Une conception différente de la freudienne qui, elle, permet de penser les conflits quand les « relations interpersonnelles » sont conçues.
Une conception comme celle de Winnicott comporte ce que Piera Aulagnier nomma l’impensable, l’impensable traversée incontournable de tous les humains, active et oubliée derrière le refoulement primordial.
Quand je travaillais à en hôpital de jour, je disais « Le corps qui, dans la psychose ne s’oubliait pas. » Une intuition, une sorte d’observation clinique.
Il y avait ces deux questions/observations mises au travail :
Le corps ne s’oublie pas
Et
Les mots ne relient pas.
C’est à partir d’elles, puis passant par la question de la sexuation, que nous retrouveront le mythe de la rencontre d’Eros et Psyché, que j’aborderai la fonction que Winnicott donne à l’articulation soma-psyché dans la conception de l’appareil psychique.
Je concluerai avec ce qui me semble être tout un champ de recherche ouvert par la pensée de cet analyste radicalement analyste qui pense radicalement l’’inconscient.
PREMIERE PARTIE :
LA CLINIQUE HOSPITALIERE ET LA FUSION PRIMAIRE ENTRE INDIVIDU ET ENVIRONNEMENT
L’asile
Volontairement, avec ce sous-titre, je reviens à l’expression de Winnicott, pourtant ma clinique est celle d’adultes : « Fusion primaire entre un individu- environnement et ça fuse. » Il parle de l’infans. Ce que nous pouvons apprendre de la folie, de la rencontre avec la folie à l ‘asile me semble, pourtant de cet ordre.
Dans le même temps, ce fut expérience sidérante pour la jeune psychologue sortant de la faculté : celle de « voir » avant de pouvoir la penser, la transformation des corps quand l’espace dans lequel ils se déplacent, change. Les corps se transformaient au fur et à mesure que les espaces de vie et de travail étaient transformés. Il faut dire que j’avais été engagée comme psychologue dans un asile en pleine métamorphose. La politique de secteur se mettait en place. Le directeur de l’hôpital et deux des médecins psychiatres mettaient en place et, la politique du secteur et, soutenaient leur exercice des idées de la psychothérapie institutionnelle. C’était dans ces années 70, l’arrivée de la psychanalyse à l’asile, c’est dire l’arrivée d’une autre conception de la folie, vs vs souvenez tous de la parole de Tosquelles « la folie est le propre de l’humain ».
Je fis l’expérience du passage de l’asile à la politique de secteur. Ce que je pus observer était très concret :
- c’est l’architecture qui était transformée, l’architecture du bâtiment, comme la conception de la vie à l intérieur. Par exemple : dans un « pavillon fermé « il y avait 90 lits. « lits «, c’était des lits, pas des chambres . Le pavillon n’était pas mixte. Et, pour 90 « lits », deux baignoires et deux infirmières. Pour la vie/non vie : une grande salle dans laquelle le long des murs ,les femmes, sur des chaises, étaient attachées.
L’introduction dans ce pavillon (avant même son entière transformation) d’activités, de propositions d’un faire avec et, « ensemble, faire avec », déjà transforma le mode de vie, arrêta l’immuable, non rythme, non temps : se lever/ être levés ; la chaine pour se laver être lavés douchés et, et être attachées le long du mur absents à l’écoulement du temps.
Dans les dites « activités », il y avait l’esthéticienne, la coiffeuse, des prises en charges par packing, la possibilité d’être habillées avec leur vêtements de ville..
Des mouvements, que je lisais comme appel à de la vie se manifestaient. Les allées de l’asile n’étaient plus hantées par des « cottes » bleues mais d’autres couleurs, d’autres mouvements. Ma plus grande surprise, encore fut celle des effets sur la parole et la pensée et la capacité de parler dans les réunions du journal. Association indépendante que celle du journal. Les réunions se déroulaient dans absolument tous les services. Dans ces réunions et, dans tout le travail d’écriture, de conception du journal, La parole côté infirmiers comme côté patients se risquaient.
De cette expérience, je n’ai jamais oublié les effets de ce que je nommais « le contexte », le contexte des rencontres, sur la manière d’habiter son corps liée à la possibilité de prendre la parole. Des années après, je me représente, contenu, dans le mot « environnement » dont Winnicott fit un concept, je me représente l’espace, la conception de cet espace, les conceptions du soin, de la folie, un certain « beau » une attention à ceux qui ne pouvaient se prendre soin d’eux- mêmes , isolés à l’intérieur d’eux -mêmes. Ce nouvel espace était porteur aussi pour les infirmiers d’un autre regard, un regard qui s’humanisait et les humanisait. Cet autre regard porté sur la folie transformait les liens entre professionnels et, avec les patients et, entre les patients. D’autres possibilités de relation, voire la possibilité de relation accompagnaient la conception d’un soin. Ce n’était plus du gardiennage.
La vie quotidienne de l’hôpital de jour
C’était cette fois, le cadre de la mise en place de la sectorisation encore, mais dans une autre région. L’expérience fut différente, car, à la psychologue, cette fois, il fut demandé de « penser » les dispositifs institutionnels.
Ainsi, la vie quotidienne à l’hôpital de jour fut l’expérience de la confirmation de l’importance de pratiques comme l’accueil, penser l’entrée en hôpital de jour. C’est à dire « penser » l’environnement. Certes, il y avait la prescription médicale et les papiers administratifs, mais notre désir était de faire une place au sujet, à sa potentielle parole aux potentiels liens . Notre désir était d’introduire des espaces ,des rencontres et, une temporalité.
Cela donna forme à manière de concevoir « une entrée » : ce fut un rythme de rencontres jusqu’ à ce que prenne forme entre la personne et l’équipe (trois infirmiers une aide soignantes et la psychologue) quelque chose qu’ils partageraient, une activité, ou un rythme ou du foot ou le sport ou être avec d’autres ou venir tenter cette expérience … ensuite, la personne en reparlait avec le médecin et, l’entrée passait alors par la forme administrative. La maladie n’est pas une identité. Penser l’espace et penser les rythmes, introduire de la temporalité était la préocupation.
Tout cela confirma l’importance d’accueillir dans le sens penser et créer l’espace (comme le squiggle )qui permette le mouvement vers et qui ,porteur, peut être.
Mais au -delà du rapport à l’institution, la vie quotidienne, la rencontre , les échanges au fil des jours en entretien, la mise au travail de pensée avec les infirmiers, le médecin et les personnes hospitalisés firent pouvoir et, concevoir la singularité de ces rencontres et, ce qui était nécessaire pour qu’il y ait rencontres. Cette clinique fut l’espace du début de la mise au travail des questions qui ne me quittèrent jamais plus :
- Celle du dit « contexte ». le mot « texte » m’importait. Je dois dire que dans le mot « environnement « de Winnicott j’entends le langage dans ses mises en forme culturelles qui articulent les relations entre humains, dans une culture donnée, j’y entends la parole d’un autre, même si cet autre n’est pas différencié , parole dans sa manière d’habiter son corps, son rapport au monde , sa singularité, c’est dire ce qui se fera vecteur du rapport au monde pour le nourrisson, vecteur d’une rencontre possible rencontre, lieu potentiel de l’élaboration pour celui qui ne se voit pas, de l’élaboration d’un « se voir. » Cela était l’accueil dans le « contexte » / « environnement ».
Ce que l’expérience m’apprit ou plutôt permit de cultiver un peu plus, fut le lien entre un parler qui isolait car il n’y avait pas de sens commun aux mots et les corps menacés d’explosion, corps menacés de destruction, les corps qui, cependant, ne peuvent pas « se » voir. Si l’autre ne le « voit » pas, c’est à dire si l’autre ne lui fait pas une place pour un possible « se voir» ou en lui donnant comme le dit joliment une personne « les mots », la personne psychotique ne se voit pas, ne parle pas au sens de s’adresser à.
Il n y a pas de conception de la séparation de deux corps, l’oralité primaire domine, l’identification orale première expression du sentiment d’amour ns dit Freud ,domine. Pulsion d’amour primaire dans les terme de Winnicott certes mais qui ne connaît que le monde de la dévoration et donc la menace d’être dévoré sauf si un autre peut s’identifier à ses besoins psychiques , même dans la clinique avec les adultes comme dit Winnicott à propos du nourrisson mais qui demeure « besoins psychiques « pour la personne psychotique » tout soutenant en lui « sa frontière intérieur /extérieur » juste « ouverte « pour l’accueil : cette identification aux besoins psychiques ouvre un espace humanisant à partir duquel tissage d’ un lien se créera peut -être. C’est dire que ns ns étions donné la possibilité de lire les relations et les modalités de leur création ou échec. C’était lecture des transferts.
- La temporalité que nous essayons de soutenir, l’espace crée par cet environnement partagé, ont créé des rencontres. De ces rencontres, nous avons appris qu’une élaboration dans le lien à un autre pouvait construire psychiquement une possibilité de « se voir » et de ressentir ( cf le théatre madame B. Bouffer = aimer mais tout à coup, elle le « voit ») .
- C’est, entre autre, à l’hôpital de jour, dans la pensée du tissage des liens de la vie quotidienne dans un faire ensemble ou chercher ensemble ou se risquer avec, que s’imposa l’idée de la construction de corps en termes de processus psychiques dans la rencontre avec un autre. Le corps comme forme se formant.
DEUXIEME PARTIE : Je voudrais à présent attirer votre attention sur la lecture de ce qui se joue dans les cures lorsque ce n’est pas la question de la sexualité qui se pose mais celle de la sexuation.
Je prendrai l’exemple de cette analysante que je reçue à mon cabinet. Au cours de son analyse elle avait élaboré la possibilité de « voir » l’enfant qu’elle fut. Celle qui cherchait du travail pour sa mère qui en avait un. Pourquoi ? sa réponse fut longtemps : elle était responsable et faisait tout pour sa mère.
C’était après la mort accidentelle de son père.
C’est au cours de son analyse qu’elle a « vu » que sa mère l’avait laissée seule dans la maison et était partie en vacances avec les autres enfants. Que sa mère avait pu lui demander à elle et pas aux autres de rembourser l’argent dépensé pour ses études. Courtes études.
Ce « voir/pas se voir » fut toujours lié dans mon expérience clinique, à un accroc dans l’élaboration pour un sujet de sa sexuation.
Elle ne pouvait pas désirer, ne pouvait pas se laisser ressentir.
Le conquérir fut un bouleversement complet dans sa position subjective.
Je parlerai de cette autre analysante, sa mère n’avait pu « la voir ».
La mère voulait une certaine forme à son corps et pouvait obtenir une opération des oreilles soi -disant décollées de son enfant.
Fort belle femme quand je l’ai connue. Une belle qui ne se voyait pas comme l’autre analysante et d’autre encore. Elle ne voyait rien, rien de la séduction qu’elle dégageait.
Si un homme voyait la femme, elle ne pouvait y croire. Parfois, c’était vécu comme une agression parfois, comme elle disait, elle y allait quand même. Ainsi elle s’était liée à une brute qui la désirait. Elle ne ressentait rien… mais si il l’aimait … il a fallu qu’il soit violent physiquement et que physiquement, il lui casse une partie de son corps pour qu’elle lui interdise son appartement et son lit. « je ne voyais pas ». disait -elle.
ET pourtant, elle avait un regard laser. Elle voyait tout comme un radar. Mais comme elle dit un jour au bout de quelques années d’analyse :
« Vous savez bien, je vois, mais je ne ressens pas. »
Je vois mais je ne ressens pas. A propos de comment elle s’est mariée :
- « Je lui ai dit ( à sa mère) je ne veux pas me marier. »( elle avait 18 ans). La mère faisant sa vaisselle et sans se retourner : « Ben, trop tard. »
- « Je me suis mariée, j’ai choisi une belle robe. »
- Une évidence pour elle : il a voulu se marier, sa mère a voulu qu’elle se marie, elle lui a dit qu’elle n’était pas amoureuse, mais elle s’est acheté une belle robe, elle s’est mariée. Mais sans ressenti. Elle avait dit à son mari « pas de désir« . Donc, pour elle, il n’avait pas à s’en étonner, entre eux il n’y eut pas ou très peu de relations sexuelles.
- Par contre la forme extérieure, la beauté de son habitation elle a cultivé. De sa maison elle a fait un corps contenant.
- La haine du mari est devenue de plus en plus intense. Une haine pour cette femme coupée d’une intériorité, ce qu’il ne voyait pas.
J’ai été toujours interrogée par ces deux côté de voir : «non- voir » et le « voir- laser ». Ce n’était pas l’image, ce n’était pas un miroir, le « voir-laser » est indissociable du « ne pas pouvoir se voir ».
Il me semble que Winnicott parle de cette impossibilité de « se voir » quand il écrit dans Fragment d’une analyse, à propos de la première année de l’analyse du jeune homme, son analysant : «Il fallait que je fasse partie de son intérieur. Il parlait comme si je faisais partie de son intérieur. J’ai respecté.»
- « Si, il n’y avait pas eu cette analyse », écrit encore Winnicott, «il serait devenu un « homosexuel » faux homosexuel. Ce qui me fit penser à plusieurs de mes patientes qui se font traiter de séductrice, accuser de faire semblant de ne pas voir, alors qu’elles étaient femmes qui attirent le regard, qui sont « vues . « »
- Effectivement toutes ces analysantes « ne pouvaient pas ne pas être vues» mais justement il me semble, à la mesure de ce que elles ne se voyaient pas. Je lisais cela comme appel à un regard qui les accompagne à élaborer la possibilité de « se voir », un appel à un amour pour ex -ister. C’est dire que l’autre leur donne la possibilité de se représenter leur corps de femme. Elles étaient loin de l’érogénéisation. Elles étaient loin du sentir et de ce que ce « se sentir » puisse se retourner vers elle, qu’elle l’éprouve, qu’elles en fassent expérience » ? ce qui ouvre l’espace pour le « penser », pour pouvois « se dire » : «Je désire ,je veux vivre ce désir et y engager mon corps ».
Comme pour l’ homme de Fragment d’une cure, pour ces femmes, cela appartenait à l’ inconcevable : elles demandaient à l’autre de leur donner «corps» .
Elles pouvaient se jeter éperdument dans une quête d’être aimée mais de cet aimer de l’infans : quand c’est l’autre qui ouvre le chemin de pouvoir se sentir ex -ister.
Ainsi j’ai traduit ce que Winnicott dit de la fin de cette première partie de l’analyse de l’ homme de Fragment :
« Par identification à son analyste, il a pu devenir médecin, la rivalité est possible avec d’autres, il a pu se marier et avoir des enfants. Mais, c’est une grave décompensation qui ouvrira le deuxième temps de son analyse :
Le désir terrifiant pour lui, sans doute, quand il s’agissait d’engager son corps dans le désir sans être porté par une forme extérieure du type « construire une famille, « faire des enfants » quand il s’agit de risquer l’engagement de son corps dans le désir dans une relation avec un autre via le corps via le sentir, il avait fui ce engagement inconcevable en demandant à sa femme d’avoir des chastes relations. Sa femme a refusé. Il s’effondra. »
L’impossibilité de « se voir », la crainte de se laisser « sentir » s’accompagnent d’une demande inconsciente à l’autre de lui donner ce regard pour « se voir ».
Mais la rencontre avec l’altérité fait que l’autre, autre, ne peut que faire des accrocs à ces attentes. Alors, il devient celui qui est labouré par un regard laser : il fait ceci, il fait cela, il a dit ci, il a dit cela, c’est un monstre, c’est « un pervers narcissique » .
La haine, avec la force de la pulsion d’amour primaire dévorante envahit et gomme le « entre » deux corps quand la rencontre n’est pas celle de deux désirs, mais celle d’une demande, plutôt d’un cri : humanises moi , sors moi du rien sentir, du vide .
Ce sont ces expériences cliniques qui m’ont fait penser aux contes sur le thème de la rencontre d’Eros et Psyché. Il ne s’agit pas pour moi, cette après -midi de dévelloper les différentes épisodes de cette rencontre ,mais de retenir la place dans ces contes de :
« l’interdit de voir « et de l’oralité menaçante.
Comme vous le savez, Psyché n’a pas le droit de voir son époux qu’elle pense être un monstre ( c’est l’histoire de la rencontre du père avec le monstre). Mais elle est heureuse. Ce n’est que poussée par ses sœurs, jalouses de la voir heureuse, qu’elle allume une chandelle pour voir le corps de son mari. Une goutte d’huile le réveillera. Elle le verra, beau, il disparaîtra. Pour le retrouver, elle devra passer des épreuves : toutes les réussir sinon les ogresses la dévoreront, elle devra marcher marcher avec des chaussures aux semelles de plomb, les user pour retrouver son époux aimé tel qu’il est.
Comme l’écrit Winnicott , dans Fragment d’une cure :
« Il ne pouvait réussir son analyse, la réussir eût été tuer l’objet aimé. »
Dans un mouvement d’aller et retour, cette phrase a éclairé la clinique et la clinique m’a permis d’avoir des points d’appui pour penser.
En effet, j’y retrouverai ces différentes formes de transfert quand nous parlons pensons en tant qu’analystes, le corps.
Si Freud a permis de penser comment une rencontre peut devenir la scène des processus psychiques qui , pour un sujet ont construit son rapport à l’autre, cette scène permet de lire le fantasme à l’oeuvre pour un sujet dans la rencontre.
Ce que les analyses de Winnicott nous permettent de penser ( et de soutenir ) est que sur la scène peut prendre place, non pas la rencontre mais, ce qui construit pour un humain la potentialité de la rencontre, la potentialité de concevoir l’altérité, la potentialité de « se voir », la potentialité en ce sens de réfléchir, la potentialité de concevoir avoir un corps.
TROISIEME PARTIE : de la question en deux parties :
Qu’est que parler veut dire
et
Qu’est ce qu’habiter son corps ?
Passant le lien habiter son corps, pour se laisser ressentir et la nécessité de « l’imaginarisation des fonctions corporelles d’un autre en ces temps où la relation est celle d’un qui est, et d’un autre qui porte la potentialité de la relation.
Abord des processus psychiques à l œuvre dans la constitution de la possibilité de concevoir son corps comme corps subjectivé et soma.
« Dans la nature humaine ». J’ai été très frappée par la manière dont Winnicott prend soin de nous présenter sa lecture de la métapsychologie freudienne, tout en rythmant , en ponctuant régulièrement : il y a un « avant » . Pour que potentialité des « relations interpersonnelles » puissent se concevoir, pour que l’articulation oedipienne puisse être « utilisée » il faut que tout cela se passe bien « avant ». D’une certaine manière, il reprend la clinique telle qu’il l’expose dans Fragment d’une cure. Souvenez vous de la première partie de l’analyse, échec et réussite, et de l’origine de la décompensation ouverture du second temps de son analyse.
J’ai trouvé à la lecture de cet « avant » selon Winnicott , une scène une représentation qui me permet de lire les processsus psychiques à l oeuvre dans la recherche de la constitution d’une potentiel rencontre. Cette recherche confronte à la question de la conception de l’appareil psychique.
Dès l’introduction de son livre La Nature humaine, Winnicott a écrit un petit paragraphe qui serait presque une longue phrase , une longue phrase qui ,en concentré, développe sa pensée et la singularité de sa pensée. Stupéfiant.
Il part de l’idée d’un « développement », nous dit -il.
Développement, à partir d’une fusion primaire entre un individu et l’environnement et de cette fusion, « ça fuse » .
J’ai toujours imaginé, à tort ou à raison, que une petite phrase de Freud ( dans l’Esquisse) contenait une intuition. J’ai toujours imaginé que, Winnicott, l’analyste qu’il était avait tiré le fil de cette intuition freudienne que son apport singulier s’inscrivait dans l’intuition freudienne . La petite phrase de Freud est la suivante:
« L’organisme humain à ces stades précoces est incapable de provoquer une action spécifique qui ne peut être réalisée qu’avec l’aide extérieure et au moment où l’attention d’une personne bien au courant se porte sur l’état de l’enfant. Ce dernier l’a alertée, du fait d’une décharge se produisant sur la voie des changements internes. par des cris par ex). La voie de décharge acquiert ainsi une fonction secondaire d’une extrème importance ; celle de la compréhension mutuelle. L’impuissance originelle de l’être humain devient la source première de ts les motifs moraux. »
« L’organisme humain à ces stades précoces est incapable de provoquer une action spécifique qui ne peut être réalisée qu’avec l’aide extérieure et au moment où l’attention d’une personne bien au courant se porte sur l’état de l’enfant. »
Winnicott lui, parle « d’individu », ce qui est différent de « l’organisme » mais « individu » c’est indivisible. J’ai supposé que ce terme « individu « pouvait faire entendre pas d’autre conçu, pas de trace, ce terme contient soma et en germe quelque chose de psychique, que je lis dans le « ça fuse » .
Ce « ça » qui fuse ne rencontre rien puisqu’il est. Mais il est rencontré et, accueilli.
Freud lui écrit :
- Ce dernier l’a alertée, du fait d’une décharge se produisant sur la voie des changements internes. par des cris par ex). La voie de décharge acquiert ainsi une fonction secondaire d’une extrème importance ; celle de la compréhension mutuelle.
C’est là que le chemin théorique de Winnicott se sépare de celui de Freud :
Je lirai le texte de Winnicott ainsi : il élargit de ce que représente « l’autre au courant » et son action à la notion d’environnement qui implique, certes, un autre mais un autre dans un monde « qui ne veut rien », écrit-il dans La Nature humaine. Ce que j’entends comme un monde « qui est » ou comme le disent Maldiney et Oury ( débat après projection du film le Moindre Geste) : « Le réel n’est pas fait d’objet » .
C’est le travail au quotidien qui a attiré mon attention ou qui colore, si je puis le dire ainsi ma lecture de Winnicott. La pathologie rend visible ce qui , si cela est traversé par tout humain, demeure, quand trace de la relation à l’autre est , dans « l’impensable » selon le mot de Piera Aulagnier. L’impensable derrière le refoulement primordial.
Il y aurait donc dans le fil tiré par Winnicott deux concepts fondamentaux qui participent à concevoir le lien entre les deux pensées mais aussi leurs séparations :
Avec le « ça » qui fuse Winnicott, introduit la notion de pulsion primaire d’amour , pulsion sans objet. Sans objet . Cela est fondamental pour moi.
Parce que cela indique que l’objet se construit.
Que le petit d’être humain d’emblée ne prend, ni ne jette il avale, il est. C’est . Le rythme des rencontres avec l’autre qui est bien là, même si l’infans ne conçoit ni l’autre ni l’environnement dans lequel l’autre est, c’est l’autre qui va construire, via la relation entièrement portée par lui, via le prendre soins des « besoins psychiques » . L’autre, dans sa singularité peut ne pas pouvoir porter cette relation, il peut par exemple lui aussi « avaler » l’altérité non conçue du bébé. L ‘infans devient partie de son « corps » disons- nous. Sans doute serait- il plus juste de dire partie de son monde intérieur, de ce fait, il n’ouvre pas à la potentialité de la pulsion sans objet de se transformer en pulsion avec objet en même temps que les formes que Winnicott nomment « Moi Total « se créent. C’est « l’empiètement » dit Winnicott et le retrait de cette pulsion sans objet. Cette pulsion primaire d’amour celle du temps où l’altérité n’est pas conçue qui existe telle quelle en retrait, mais s’éveille parfois dans la relation amoureuse lorsque le corps est engagé .
Dernière partie de la phrase de Freud :
- « L’impuissance originelle de l’être humain devient la source première de tous les motifs moraux. »
Dernière partie de la petite phrase de Freud : étonnante. Winnicott, lui,en proposant l’idée d’une troisième aire intérieur extérieur et une zone intermédiaire, permet de de concevoir un espace qui unit et qui sépare . «Une troisième aire», dit- il, celle qui unit et sépare celle qu’il a nommée aussi « l’aire culturelle ».
Je voulais juste souligner ce mouvement : ainsi Winnicott apporte une conception du Moi qui se construit ( le mode intérieur, la frontière entre un intérieur et un extérieur et la conception d’un Moi total et pulsion avec objet )
Puis, ce temps central de la structuration dit « le stade de l’inquiétude » avec cet abord singulier qui nous permet, dans la clinique, d’entendre certains de nos analysants qui ne sont pas du tout psychotiques mais qui peuvent ne pas être en capacité d’ « utiliser » la dimension tierce que pourtant ils connaissent. Il écrit :
« Puis, vient le consentement personnel aux fonctions et aux pulsions avec leur acmé, et la reconnaissance progressive de la mère comme être humain, et dans le même temps d’impitoyable, l’enfant devient soucieux ; ensuite arrive la reconnaissance du tiers et de l’amour compliqué par la haine, et du conflit affectif ; le tout s’enrichissant de l’élaboration imaginative de chaque fonction, et de la croissance de la psyché en même temps que celle du corps. »
A mon sens, l’élaboration Winnicottienne nous conduit à repenser l’expérience de la satisfaction, mais ceci sera une autre recherche. Je ne veux pas, pour cet après midi, quitter le fil « Psyché-soma » c’est dire « les mille et unes aventures d’Eros et Psyché ».
Cela sera ma dernière partie et ma conclusion .
Vous l’avez remarqué, nous avons retrouvé « l’élaboration imaginative des fonctions corporelles. »
Je terminerai sur l’ouverture que représente pour moi, cette formule winnicottienne.
QUATRIEME PARTIE : – « C’est l’imaginaire qui muscle », dit le danseur chorégraphe Jean Guiverix
– « Je ferai une analogie » écrit Winnicott.
Dans l’accueil de l’autre (quand il est non conçu comme tel par l’infans), c’est l’imaginarisation des fonctions corporelles de l’autre qui accueille. En d’autres termes c’est son rapport au monde, sa construction subjective qui donne la forme la couleur et la qualité , le style de son accueil et qui crée un « espace entre ».
Et qui permet ou pas la potentielle illusion nécessaire pour à l’infans pour « trouver/créer »
Ce n’est que de la forme « Moi total » élaborée, qu’un espace se construit, l’espace de la circulation des fantasmes, de l’élaboration du jeu des conflits, « le tout s’enrichissant de l’élaboration imaginative de chaque fonction, et de la croissance de la psyché en même temps que celle du corps. »
Mon questionnement alors devient:
- Premier point : Quid de la satisfaction ?
Ne peut-on se représenter que dans le rythme de rencontres, la satisfaction comporte deux plans:
1-Un senti apaisement de l’agitation des organes, du côté du soma
Et
2-Les identifications primaires orales (expression archaïque du sentiment d’amour ns dit Freud ,) identification primaire orale à l’affect de l’autre dans cette rencontre sans espace « entre » .
Dans le mouvement de ces identifications primaires orales, amour dévorant destructeur, je lirai la place et la fonction que Winnicott donne à « l’imaginarisation des fonctions corporelles » de l’autre et celles avalées par l’infans.
Lorsque je travaillais pour un foyer maternel, Les puéricultrices avait parlé de leur préocupation pour une mère et son nourrisson :
Le nourrisson n’avait pas de regard : on ne voyait que le blanc de ses yeux, il ne criait jamais, ne « réclamait jamais ».
La mère, disaient-elles, dans un premier temps, s’étonnant, s’en occupait bien. Puis, réfléchissant, elles précisèrent, tout bien, mais, étrangement, comme sans affect.`
Nous avions imaginé de faire ainsi : le bébé iraitau maximun à la garderie avec les puéricultrices qui le garderaient tout le temps avec elles, elles lui parleraient ou bruitraient lui à côté d’elle dans son couffin avec attention à lui bien sûr.
Et une attention serait également portée à cette femme en grande souffrance psychique en particulier au moment du biberon et/ou des changes. Il fut proposé à la mère d’être accompagnée d’une puéricultrice , pour elle, en soutien à elle, la mère qu’elle tentait d’être :
Le regard du bébé revint.
C’était une supervision, j’ai quitté ce lieu . Mais j’ai gardé toujours cette image effrayante « un bébé sans regard »: ce bébé me semblait juste entre vie et mort et ce n’est pas la vie la poussée d Eros qui l’emportait
Il me semble que les aventures d’Eros et Psyché commencent là, il me semble que c’est ce que nous transmet Winnicott dans Fragment d’une analyse:
« Réussir son analyse ( la première ) c’êut été tuer sa mère. Quelque chose était resté enfermé dans l’imaginarition maternelle des fonctions corporelles. Il était enfermé dans le « corps/monde « de sa mère. »
Il ne pouvait concevoir la relation « langagière » dirait Dolto quand, dans l’amour, la relation engage le corps et les sensations.
Dans la clinique de la psychose je penserais que c’est la forme se formant « corps », le « Moi total » qui est menacée d’explosion au sens propre.
Mais dans d’autres cliniques, comme lorsque nous avons à faire avec des clivages de défense, cela peut être , en un endroit du corps pour un sujet, que s’impose « l’ irréprésentable » . Cet endroit du corps est partie du corps de l’autre enfermée dans l’imaginarisation des fonctions corporelles de l’autre et non pas « accueilli » en un lieu .
Elle est écrite dans le chapitre Environnement de la Nature humaine. Je dirais qu’elle est peut -être exemplaire de cette union et séparation entre la métapsychologie du fondateur de la psychanalyse et un autre analyste quelques générations après et ayant eu une autre clinique (mais aussi autre histoire autre culture autre temps etc .. ) Elle contient à mon sens une idée « qui peut paraître folle », écrit Winnicott.
Ce sera ma quatrième partie et conclusion.
Freud donc écrit, toujours dans la même petite phrase de l’Esquisse :
L’impuissance originelle de l’être humain devient la source première de tous les motifs moraux. »
je tente de résumer l’analogie que nous annonce Winnicott dans le chapitre Environnement » de La Nature humaine :
« Entre cela (la fusion complète) et les relations interpersonnelles, il y a un stade intermédiaire tout à fait important : » il s’agit d’une couche, comme faite de substance maternelle et de substance infantile, couche qu’il faut reconnaître entre la mère qui porte physiquement le bébé et le bébé. »
« Avant la naissance, dans le ventre de la mère : il y a quelque chose de fou à soutenir ce point de vue et pourtant il faut le soutenir. L’analogie est là assez étroite avec la situation physique d’avant la naissance. » L’analogie donc :
- « L’endomètre s’est spécialisé pour s’entremêler avec le placenta. Entre la mère et l’enfant se trouvent donc le sac amniotique, l’endomètre et le placenta. L’analogie n’a pas à être poursuivie plus loin, mais physiquement il est aussi vrai de dire qu’il y a un ensemble de substances entre la mère et le bébé jusqu’au moment où ils se séparent. Cette organisation de substance est alors perdue à la fois pour la mère et pour l’enfant. »
- Affirmation que l’œuf n’est jamais un morceau du corps de la mère mais un locataire . A la naissance la mère ne perd rien « sauf cette portion d’endomètre entremélé au placenta. »
- Donc à l’ intérieur du corps de la mère déjà « il y a un ensemble de substance entre la mère et le bébé jusqu’au moment où ils se séparent. »
- L ‘analogie est là : entre « l’ensemble de substances entre le corps de la mère et le fœtus » . Winnicott articule avec cette analogie la psyche au soma. Il fait marcher son « imaginarisation des fonctions corporelles ». Et l’analogie est là cette substance qui unit et sépare comme sur l’aire transitionnelle, puis l’aire culturelle vont unir et séparer .
Je ne peux qu’y voir ce qui lie et sépare les deux théorisations celle de Freud et celle de Winnicott !
Une des singularité de l’apport de Winnicott est qu’il avance des concepts qui nous permettent parfois de « penser » de nous représenter les processus psychiques à l’œuvre dans les rencontres .
Rencontre telle que peut la définir Maldiney :
« Comme lieu justement auquel je n’étais pas préparé mais qui apporte son lieu d’être ».
S’interrogeant sur la rencontre avec un tableau, Piera Aulagnier écrira :
« Imaginez , un sujet qui se décide d’aller voir une exposition de peinture…. Tout à coup face à un tableau dont la lumière le saisit, face à un perçu qui lui dévoile……le jusqu’alors inconnu d’une rencontre avec un inattendu qui comble une attente qu’on ne sait pas porter en soi. Attente non pas d’objet mais d’un état. »
Un « état » écrit elle, cet état, je pense que Winnicott le nomme le FEMININ .
Nicole Auffret
Le 3 octobre 2018