Ce que savait Baya…

                                                

          En lisant ce que vous nous proposiez de mettre au travail, j’ai pensé à une petite phrase, phrase de Wiggenstein transformée et mise en exergue de leur livre  » Histoire et Trauma  »  par Françoise Davoine et Jean Max Gaudillière.     

 » ce qui ne peut pas se dire 

 ne peut pas se taire »

                    C’est ce nom que ,ma collègue psychiatre Marguerite Colin et moi même, avons donné à notre groupe de recherche,  à Rennes. Il y huit ans, nous avions crée ce groupe  » pour ne pas rester sidérées » devant les conceptions contemporaines de la folie et du soin.

          » Histoire et Trauma « fut le  premier ouvrage travaillé .Lors de leur conférence  F. Davoine et JM Gaudillière developpèrent leur conception  de, je les cite   » la folie comme forme de lien social dans une situation extrème « .

Notre pratique à l’hôpital psychiatrique et à l’asile nous avait fait découvrir combien la recherche sur la clinique de la psychose ne pouvait se concevoir sans penser cette « articulation  » individu et champ social dans l’ Histoire. Ce fut l’ancrage de la clinique de la clinicienne que je suis .

              Aujourd hui, je tenterai de vous transmettre ce que, de ma place de clinicienne, de  » psychanalyse et créativité « , je peux dire.  Sur ce chemin, la rencontre avec l’oeuvre du peintre Baya a une place importante.                         

 

 

                                  J’étais allée voir une grande exposition au musée de Laval, exposition intitulée  » l’art naïf contemporain en Afrique « . 

Tout à coup, le choc, sur les murs blancs ,des couleurs, la nature luxuriante, une femme-nature, un oeil immense. dans cette nature, une femme, une fillette aux corps emmelés. l’oeil  de la mère. le visage souvent comme non fini ..non clos.. je les voyais » corps-mère-nature ». C’était  être devant le beau qui diffusait une sensation d’étrangeté inquiétante, un oeil. que nous  voyons nous  regarder, un oeil de profil immense, noir bordé de kohl. 

                                         J’étais fascinée et ne cessait de penser devant ces tableaux : ce peintre savait .

                                                    Savait quoi ? 

          Les années de travail clinique en tant que psychologue de formation analytique  à l’hôpital psychiatrique avait fait surgir  à  une question qui me taraudait. Un sujet  élaborait, sa vie pouvait se transformer de ce fait et, pourtant ,il semblait qu’il ne pouvait  » inscrire  » ces élaborations. Pourquoi ,tout à coup, cela chutait ? qu’est ce qui empêchait ? Je fis le lien entre ce que l’oeuvre de Baya évoquait  et, mes hypothèses floues à propos de l’empêchement à inscrire que la clinique avait fait surgir comme question à mettre analytiquement au travail. 

                                             J’ai souvent eu l’image que le vide s’ouvrait devant les patients : ils n’avaient plus d’appuis tout à coup pour penser  ce qu’il vivaient même s’ils l’avaient désirer.  Rien, en eux, ne pouvait faire appui, pas  d’appui interne pour penser, pour être présent à ce qui se présentait,  ça chutait. 

                                        De cet appui interne,  les oeuvres de Baya  me parlent.  Mon exposé sera très proche de la clinique, la clinique passant par l’art dont  celui de Baya, avant d’évoquer, sans doute très et trop  rapidement les pistes théoriques qui furent les miennes pour travailler cette question de la  » créativité  » soulignée cliniquement par ses entraves et échecs. 

 

 

          1-   QUAND  LA CLINIQUE IMPOSE UNE  QUESTION 

 

                 1- la clinique à l’hôpital

                                               * l’institution

          J’ai travaillé en tant que psychologue à l’hôpital quand il était asile. C’est à dire des pavillons d’hommes, des pavillons de femmes ,des cottes bleues, la ferme. des pavillons de 90 lits et deux baignoires … des pavillons avec la paille par terre … une ville en dehors de la ville. 

J’ai travaillé au moment de la transformation de cet asile  en hôpital psychiatrique et la sectorisation, dans les années 70 .. 

              L’asile était tenu pour responsable de la dite  » chronicité « . Or, les militants du secteur que nous étions ont été rattrapé par ce que les médecins nommaient les « chroniques » et leur manière de faire explorer les certitudes : 

              En effet, ces patients dans le contexte de la dite sectorisation avaient retrouvé ou inventé des capacités de vivre  » en société « , ils étaient  » socialisés « comme comme disaient les psychiatres  à l’époque, mais, dans les lieux organisés par la psychiatrie de secteur. 

Seuls,  c’est à dire sans être dans une activité organisée par des infirmiers, le désir ne se soutenait pas, le désir pouvait être mais la potentialité de soutenir ce désir s’effondrait.

            exemple:  une activité du dit  » secteur  » – la troupe de théatre.  

  le groupe de théatre 

       Dans le cadre de l’hopital de jour , dans la grande salle, nous répétions avec la comédienne/metteur en scène .  » Nous  » c’étaient les patients qui avaient choisi de faire du théatre. Un infirmier et moi même psychologue, nous étions là, les accompagnant, les soutenant dans leur désir de mener à bien la pièce  qu’ils travaillaient. Une représentation dans un petit théatre de la ville clôturaient leur travail. 

           Les patients, comédiens amateurs   préparaient avec la metteure en scène  une à deux pièces. 

          L’ infirmier et moi même nous nous faisions présents à leur désir de se risquer à jouer, témoins.  Le travail se déroulaient avec la comédienne les répétitions .. les rires, les colères, les moments de respiration. Nous étions là avec eux, présence pour eux dans cette aventure du théatre. 

Quand nous sortions, les autres, dans les salles à côté,  avaient entendu les éclats de voix   … les questions fusaient ,la curiosité  » ça s’amuse là dedans !  » l’envie.  Les patients comédiens à leur tour pouvaient aussi en sortant demander aux femmes de l’atelier de couture de faire qq pièces pour leur costume de scène. Nous prenions le temps avec eux aussi  au sortir de ces intenses moments : 

« oh là la heureux » ou  »  tristes »  » pas facile « … puis chacun partaient vers ses pénates. 

               Sur plusieurs années, une petite troupe s’est constituée, elle jouait travaillait, présentait, demandait aide à ceux qui savait coudre, bricoler. Nous étions présents, attentifs, en pensée auprès d’eux, partageant aussi leur plaisir de se mettre dans l' »expérience de jouer  » .

Les réformes hospitalières commençèrent. Nous avons dû quitter ce lieu pour un autre à l’autre bout de la ville, il fallait prendre un car .

                Il n’y avait personne au sortir des répétitions à qui parler … c’était la rue. L’infirmier et moi même ,n’avions plus la disponibilité tranquille après ,ni  avant ..  Ne pas avoir le temps, s’engouffrer dans un petit bus et revenir se dire au revoir,   a effacé  l’espace d’un accueil .

                Le plaisir de tous les membres du groupe s’est estompé. Assez rapidement, la troupe s’est dissoute. 

    Cette expérience clinique me permit  d’interroger ce que les termes de  » chronicité  » ou de socialisation  »  mettaient en danger de figer. La question se posait en termes de  » processus psychiques « 

             Quels étaient les processus psychiques à l’oeuvre pour un sujet quand il peut  » inventer « , quand il peut élaborer la possibilité de s’engager avec d’autres, qu’il peut  accepter d’apprendre, répéter être dirigés par le metteur en scène mais, mais que cela ne se peut que soutenu par la présence réelle d’autres et un espace familier, habité. Sans cette continuité dans la présence et l’attention, le désir ne s’inscrivait pas .

    De la clinique hospitalière, institutionnelle ou de cure de psychotiques, aux cures  dans l’exercice de la psychanalyse en libéral, j’ai trouvé cette butée évoquée plus haut.   

                     Ces sujets pouvaient vivre le sol se dérobant sous leurs pieds. Ils n’avaient pas d’appui pour subjectiver ce que, pourtant, ils avaient trouvé, un amour, un métier, des relations amicales sociales. 

Je pensais qu’en un endroit, ils n’avaient pas été  » vu « . Cela ne me semblait pas de l’ordre de l’image du miroir, mais plus à l’époque du côté de ce que Françoise Dolto élaborait en terme  » d’image inconsciente du corps . »

Elle différenciait l’image inconsciente du corps du stade du miroir dont elle disait qu’il était un traumatisme pour l’infans car il découvrait que son visage n’était pas celui de sa mère. 

 

        Comme vous l’entendez, j’associais  le quotidien à inventer et  la création artistique. je les pensais en termes d’ « inventions psychiques  » d’un sujet. Quand, j’ai rencontré l’oeuvre de Winnicott, j’ai pu commencer à avancer dans la pensée des ces questions. Dans l’article   » la créativité et ses origines « ( dans  » jeu et réalité ) voici ce qu’il écrit à propos de sa conception de  « la créativité  »  elle est à entendre dans le mouvement qu’implique toute sa conception métapsychologique, en fait. Mais voici ce qu’il écrit dans cet article : 

 » le lecteur consentira, je l’espère, à envisager la créativité dans son acceptation la plus large, sans l’enfermer dans les limites d’une création réussie ou reconnue, mais bien plutôt en la considérant comme la coloration de tt attitude face à la réalité extérieure . »

ou encore 

 Cette créativité, qu’elle procède d’un talent particulier ou non ,elle se nourrit des mêmes sources  c’est à dire, elle « fait partie de l’expérience de la première enfance : la capacité de créer le monde . » 

              Voici une  approche qui permet de concevoir qu’il s’agit moins au quotidien d’éducation, de socialisation que d’ élaboration psychique  » dans le transfert  » l’élaboration de ce qu’est   vivre,  pouvoir « penser  » sa vie.  » « créer le monde  » écrivait Winnicott. La vie au quotidien  nécessite la capacité d’invention psychique, et la capacité de la soutenir, « subjectiver « , « inscrire « . 

 

                                      La clinique encore, à l’hôpital encore :  quand le discours psychotique, dans la vie au quotidien nous apprend à questionner ce qui paraît « évidence »  et, souligne la nécessité de la présence réelle de l’autre pour un faire, pour un  » inventer  »  ,pour créer l’espace psychique de la pensée 

Exemples:

 

              * la conduite, 

un jeune homme qui fut hospitalisé pour une bouffée délirante voulait passer le permis de conduire. Il obtint avec succès le code. mais passer la conduite fut une autre affaire. Il échoua, ré échoua ,ré échoua …. 

      A chaque fois il ne pouvait répondre à l’indication de l’inspecteur. Un  » ordre  » lui faisait traverser  un temps de sidération.  » Tournez à Gauche  » 

Naturellement,  il ratait la route,   » faites un créneau » l' »ordre  »  le figeait. Il savait faire mais il échouait. 

Un jour il arriva radieux ! il avait passé avec succès la conduite et avait réussi ! 

 comment cela s’était il passé ? 

  » eh bien, me dit il, c’était une dame, et elle était gentille, elle me disait  » et maintenant nous allons tourner à gauche ….  »  » et, maintenant, nous allons ….. « 

                              La posture différente des inspecteurs, s’adresser directement pénêtre, le  » nous  » l’a porté . Il obtint  le permis de conduire  lui qui avait à élaborer la possibilité de  se conduire, seul ,dans la vie. 

 

               *  la tradition  

           L’homme était très grand très  » baraqué « . il faisait peur parfois, récemment sorti de l’hôpital enfin il avait et habitait son appartement, il l’avait  tant désiré. 

           Je le rencontrai au CMP .

        Quand j’allai ce jour là le chercher dans la salle d’attente, je fus frappé par le mouvement de son corps massif dans le couloir : il allait exploser. 

        Il s’assoit dans le bureau et la parole jaillit  : 

« Mais qu’est ce que c’est que ce monde, j’ai invité du monde chez moi, moi qui suit pauvre, j’ai offert du café moi qui suis pauvre, j’ai pas beaucoup de chaises, on s’est assis sur les chaises et sur le lit. Une fille tout à coup s’est mise en colère, elle était debout, elle a crié a dit salauds etc … 

elle est partie, elle a  claqué la porte … il s’arrête ..  » me regarde 

           Je mesure lui qui est persécuté et délirant, la violence ressentie, je mesure l’ouverture et l’effort représenté par cette ouverture à la vie :  faire entrer du monde chez lui,  offrir du café …il a donné qqq chose de lui et » on « , une fille,  claque la porte et l’insultant. 

             Après m’être assurée que je pouvais lui dire  à quoi je pensais à propos de ce qui est arrivé : je parle d’une tradition que, sans doute, il ne connaissait pas :  

          Cette tradition est, que l’on doit laisser une place assise à la femme quand, dans une pièce,  il n’ y a pas assez de sièges … sans doute la fille connaissait cette tradition, d’où sa réaction. 

Il écoute attentivement silencieux et je vois, je le vois « rentrer « dans son corps, il occupe l’espace différement  !! 

 » je ne connaissais pas cette tradition »  dit il … 

Plusieurs semaines après, il me dira qu’il a fait selon la tradition et, la fille s’est assise, elle n’a pas eu de colère. 

                 D’une certaine manière, je dirai que ces adultes en souffrance, qui font un usage singulier du langage ,habitent leur corps d’une manière qui fait exploser ce que nous croyons évidence :  » avoir un corps  » se représenter son corps « , ces adultes   m’ont appris que la capacité de vivre sa vie  » fait partie de l’expérience de la première enfance : la capacité de créer le monde « .  Ils avaient l’absolue nécessité de la présence réelle d’un autre et de sa parole pour  » vivre  » le monde  » .

         2 –  la clinique encore, au cours d’une cure, une  » invention psychique  » et l’impossibilité de l’inscrire    

 

            La cure de cette femme et cette femme m’ont beaucoup appris sur les enjeux psychiques à l’oeuvre à propos de la  » créativité  » .

      Au fil des années ,elle se sortait peu à peu de son très très  grave effondrement. Elle prit d’importantes responsabilités sur le plan artistique dans la ville touristique qu’elle habitait .  Présidente d’une association culturelle, pour l’art contemporain,  elle créa, dans un très beau site, des  » évènements ». Elle organisait des expositions d’art contemporain, elle faisait découvrir des artistes prometteurs de la région ( elle avait  » un oeil  » et ne s’est pas trompé). Un mouvement se créait. les articles dans les journaux, les subventions de la ville, elle semblait avoir  » réussi « . Quelques années après, certaines de ses découvertes confirment leur talent. 

            Mais, elle ne put concevoir cette réussite comme le fruit de sa pensée son dynamisme, son intérêt et sa connaissance de la peinture.

 Sa réussite la  persécutait. Les autres lui avaient pris son temps. 

 Elle avait pris des cours, peignait et avait trouvé son style.  Le  » geste spontané  » un e vivacité du trait, de la couleurs de la poésie.  Elle intervenait dans les écoles et collèges pour des ateliers de peinture. Elle avait crée un atelier  » des couleurs et des mots  » : A partir du geste spontané,  construire au pastel gras des formes colorées à partir desquels elle inventait des  histoires.  Une vraie élaboration par rapport à son histoire traumatique, une histoire dans laquelle la haine, le » meurtre d’âme  » ( mot du psychanalyste Philippe Réfabert )régnaient. 

            Cette réussite, cette création   ne put psychiquement se soutenir et s’inscrire.  Une nouvelle fois, elle était persécutée. Elle ne pouvait penser que, elle donnait aux autres et, il n’y avait rien pour elle. 

           Parfois,  elle  hurlait  » Madame Auffret laissez moi n’être rien. « 

Le bébé qu’elle fut n’a pas été porté. Il a porté. Le bébé qu’elle fut dormait, disait elle, ne dérangeait personne .Le bébé qu’elle fut ne réclamait rien. Elle n’a accepté comme nourriture que du lait jusu’à ses 4, 5 ans.  Elle n’avait pas été « vue « . Elle avait un oeil laser mais ne voyait rien dans le sens du sensoriel voir, se laisser toucher, s’identifier. Elle était toujours menacée de disparaître dans le regard de l’autre ou de s’y faire disparaître.  Sauf ,quand elle peignait. Mais être vue ne pouvait se subjectiver. reconnaître sa créativité était pour elle être menacée d’être expulsée hors du monde.  » Se séparer » ne se concevait pas. 

Elle ne savait pas l’amour, elle voulait vivre, mais  sur sa route toujours elle retrouvait la persécution.

Pour elle aussi  était fondamentale la présence réelle d’un autre, un autre qui parle qui l’accueille. Un autre qui accueille sa potentialité d’inscrire son désir, qui voit l’humanité de son désir de vivre. Mais ça butait : elle était figée figée  dans un temps, hors temps, elle ne connaissait que la persécution ou la  violence d’une rupture, de l’expulsion dans la non vie.                                                                    

 

 

                             L’ART DE BAYA ET SON  » ENSEIGNEMENT  » 

         j’espère que nous pourrons être accompagnés par quelques unes des oeuvres de Baya. Elle sont de 1946 et 1947.  

                  Avant de commencer,  je veux remercier, Benamar Medienne pour m’avoir transmis son article  » Baya coeur de fleur  » et répondu aux questions que je lui posais,  remercier Ali Silem pour m’avoir indiqué, il y a quelques années,  des références de textes et transmis le précieux entretien que Baya accepta de  Dalila Morsly. 

         En 2000, ce fut un  choc de découvrir dans deux immenses salles du Musée de Laval les tableaux de Baya. Choc devant l’étroite intrication du beau,  de la vivacité du trait et de l’étrange, du sombre d’une  » ombre « . Cette proximité du beau, du vivant ,du jaillissement et de l’étrange sombre menaçant malgré la couleur … ces visages pas finis, l’oeil qui nous regarde, les corps entreméles et mêlés à la nature, je ne pouvais pas ne pas penser à ma clinique. Les sujets dont j’évoquais l’empêchement à « inscrire « leur désir, ces sujets souvent transmettaient ce mélange de jaillissement ,de vie, de désir de vie, mais un jaillissement qui ne pouvait prendre forme, qui ne pouvait trouver son espace sans un lieu qui porte la potentialité de leur désir. Baya, elle créait des formes qui évoquaient, m’évoquaient ces mouvement de vie laissés en jachère où comme suspendus en appel,sans possibilité de prendre forme. 

         Baya est une artiste. Et l’artiste  » sait  » le mouvement du désir dans  la répétition d’un même thème, les femmes /enfants /nature chez Baya ne témoigne pas d’un empêchement mais d’une recherche et de l’inscription du désir.  

                     Pour le dire très rapidement je trouvais que Baya, son oeuvre confirmait l’hypothèse winnicottienne ;

« Cette créativité, qu’elle procède d’un talent particulier ou non ,elle se nourrit des mêmes sources  c’est à dire, elle « fait partie de l’expérience de la première enfance : la capacité de créer le monde . » Je pensais que par son oeuvre, l’artiste Baya était unie et séparée de cette  » expérience de la première enfance « .

Ecoutons les réponses qu’elle fit à Dalila Morsly quand elle l’invita à parler des circonstances dans lesquelles elle a commencé à peindre 

                            Baya :  » J’ai commencé très jeune, j’ai commencé chez ma mère adoptive, j’ai en effet perdu mes parents très tôt. je me suis mise à peindre parce que Marguerite peignait : Elle faisait des miniatures, de la peinture sur soie .. Elle était marié à un peintre anglais, un portraitiste. 

Elle, elle faisait des miniatures avec des femmes, des fleurs, des oiseaux … le soir je la regardais travailler. Un jour qu’ils n’étaient pas là, j’ai pris les pinceaux et je me suis lancée. 

J’ai d’abord commencé par m’inspirer de revues que l’on recevait à la maison et qui étaient destinées aux enfants. 

C’est ainsi que j’ai fait mon premier tableau. Par la suite Marguerite me donnait du papier, des pinceaux, des crayons .. elle partait au travail et me laissait faire. Cela me faisait plaisir de peindre, je peignais tout ce qui me passait par la tête. Je cachais mes dessins un peu partout sous les lits, sous le canapé. Lorsque Marguerite rentrait, je me mettais à rire, elle me disait : 

 » alors qu’est ce que tu as fait aujourd hui ? tu as travaillé ? tu as peint ? Elle se mettait à quatre pattes regardait mes dessins et m’encourageait à poursuivre.  » 

                                                                                Quand  Dalila Morsly pose la question des influences: 

                                      Baya :  » Je ne sais pas …. Vous savez je suis très sensible, je sens les choses. Et, puis, j’ai vécu dans une maison merveilleuse. Marguerite connaissait des écrivains .. Mais qd on est jeune on ne se rend pas compte de cela, on trouve, cela normal c’était logique…

Ce n’est que bien après que j’ai réalisé que je me suis dit : » j’ai connu des gens d’une telle qualité et je n’ai su en profiter » .

C’est pourquoi, j’ai l’impression de n’avoir pas subi d’influence. Je vivais dans une maison pleine de fleurs. La soeur de Marguerite avait un magasin de fleurs à Alger. Ils adoraient tous les fleurs,  il y en avait partout ds la maison. Il y avait de belles choses, de beaux objets, vous voyez l’ambiance ds laquelle je vivais. 

A la maison ma mère avait des Braque, des Matisse. ce sont des peintres que j’aime, qui me touchent profondément mais je ne sais pas si je peux dire que j’ai été influencée par eux. J’ai l’impression inverse : qu’on m’a emprunté des couleurs par exemple .Des peintres qui n’utilisaient pas le rose indien se sont mis à l’utiliser. Or le rose indien, le bleu turquoise ce sont les couleurs de Baya, elles sont présentes ds ma peinture depuis le début, ce sont des couleurs que j’adore.  » 

             

                                                                                  Quand Dalila Morsly souligne :  » ce sont des couleurs berbères » : 

                                        Baya :  » exactement. Peut être que j’ai été inspirée par les femmes de Kabylie qui s’habillent de couleurs éclatantes. Je ne peux vraiment expliquer, je sens que j’aime ces couleurs. « 

                                                                                 Quand Dalila Morsly l’interroge sur les femmes :

 

                                            Baya :  » En effet, on me dit souvent : – pourquoi jamais d’homme, toujours des femmes? je crois que je peux répondre à cette question … J’ai perdu mes parents très jeune. Mon père d’abord puis ma mère. De mon père, je me souviens vaguement. mais de ma mère malgré mon jeune âge alors, je garde une image assez précise. D ailleurs ,j’en avais fait le portrait : grande femme mince une chevelure noire qui tombait jusque là .. Elle était vraiment superbe. J’ai l’impression que cette femme que je peins et un peu le reflet de ma mère : je le fais musicienne …..

J’ai le sentiment que c’est ma mère et que là j’ai été influencée par le fait que je ne l’ai pas très bien connue, que j’ai été imprégnée de son absence. je ne sais pas …. 

                                                                               Quand Baya parle de sa manière de travailler 

 » C’est très simple. D’abord je n’ai pas vraiment un endroit pour peindre. Je peins n’importe où, sur la table de la cuisine ou sur la table de la salle à manger pour les grands dessins. 

Je pose mon papier, je tiens les quatre coins par des galets que j’ai ramené de la mer, je fais mon dessin au crayon. S’il doit y avoir une femme, je commence par la femme, puis je dessine les instruments, puis un vase de fleurs … dans une seconde étape je m’occupe des couleurs, de la robe d’abord puis les cheveux. Si je lui mets un foulard sur la tête, je colore le fond du foulard après celui de la robe, si ce sont les cheveux noirs libres, je les laisse pour plus tard avec les yeux. 

Ensuite je cerne : là aussi je commence toujours par la femme, les cheveux noirs, l’oeil puis les instruments ou objets. Je les cerne tous. Et pour finir, je m’attaque aus dessins qui vont peupler le fond. « 

 » J’aime toucher à la peinture, j’aime toucher les pinceaux. Quand on peint et qu’on tient ses pinceaux entre ses mains on s’évade de tt, on est dans un monde à part et on crée ce que l’on a envie de créer. C’est un parcours un peu solitaire.. et que j’aime. C’est un besoin ? quand je reste qq jours sans peindre, sans travailler, cela me manque, il faut que je m’y remette.  » 

                          Dans un livre  » le paradoxe de Winnicott  »  dont les auteurs sont ses traductrices  en français (Anne Clancier et   Jeannine Kalamanovitch  ), l’une d’elle conte cette anecdote : 

            * page 21 elle écrit :   » Winnicott, se préocupant de la phase qui précède la première relation à l’objet, s’est écrié un jour avec fougue dans une réunion de la société de Psychanalyse :

– Mais un bébé « ça n’existe pas « . Inquiet de s’entendre proférer de semblables paroles, il a essayé de donner ses raisons: il fait remarquer que, lorsqu’on lui montre un bébé ,on lui montre aussi qq qui s’occupe du bébé ou au moins un landau auquel sont rivés des yeux et les oreilles de quelqu’un. A partir de cette intuition, il élabore  …   » Ce n’est pas l’individu qui est la cellule mais une structure constituée par l’environnement et l’individu. Le centre de gravité de l’être ne se constitue pas à partir de l’individu: il se trouve dans le tout formé par ce couple. « 

                                  L’oeuvre de Baya nous parle, je pense,de l’intuition Winnicottienne, cet impensable que nous avons tous traversé, l’espace de la  » création de l’espace pour le psychisme  :

 » le bébé n’existe pas … « , mais pas seulement. La création de Baya est l’oeuvre d’une artiste. Son oeuvre est son espace de création psychique l’espace pour la pensée, l’espace pour le fantasme.  La petite Fatma Haddad, avant de subir les deux grandes pertes traumatiques de son enfance ( la mort de son père  dont elle a parlé dans l’entretien, puis sa mère auprès du corps mort de laquelle ,il est écrit, qu’elle demeura plusieurs jours. Si la petite fille en sortit, sans doute sous le choc ,traumatisée,  elle commença à modeler des petits personnages monstrueux en se cachant,  en cachant ce qu’elle modelait avec la terre de Kabylie ( La poterie est un art traditionnelle de femmes de Kabylie ). C’est cette petite fille qui se cache et modèle des personnages qui attira l’attention de Marguerite Caminat. QQ années après la mort de sa belle fille,   la grand mère paternelle de Fatma  l’avait ramené avec elle,  là où elle travaillait et vivait ,chez des colons français .La fille des colons, artiste mariée à un artiste, Marguerite Caminat. vit l’enfant se cacher et cacher ses créations. Elle proposa de l’adopter. Avec l’accord de sa grand mère paternelle Fatma partit vivre à Alger avec Marguerite .Elles se sont apprivoisées. 

Marguerite et Fatma  ont  crée  l’aire transitionnelle, l’aire du jeu, l’aire de la créativité. Ce que Winnicott n’avaient pas encore écrit, et,   qu’il développa tout au long de son oeuvre, en particulier dans  » jeu et réalité  » et dans l’article  » la localisation de l’expérience culturelle  » dans lequel  il part d’une critique du concept freudien de sublimation et avance sa conception . Mon hypothèse fut que la petite Fatma put accepter et faire fructifier la rencontre avec Marguerite car elle avait eu ce lieu « le lieu où mettre ce que l’on a trouvé « .

  Baya naquit de la rencontre avec Marguerite parce que la petite Fatma en fit » vie », pour elle ,de cette rencontre. L’oeuvre de l’artiste Baya, les répétitions et infimes différences dans le traitement de ses thèmes nous donne la représentation du désir en mouvement. 

                     Chez les patients, la  » vraie force de vie » était entravée,  il y avait empêchement à pouvoir soutenir ce que dans les rencontres ils pouvaient  » inventer » « re créer « vivre. Ce qui frappait était également combien les patients cherchaient un autre pour leur expliquer le monde. Ou parfois se figeait. Ce qui frappait était combien le déplacement d’un corps dans l’espace se faisait parole en acte. Pour ces patients,   le vide et l’effondrement menaçaient toujours au présent. L’ancrage  » le lieu »  se dérobait ou menaçait .L’évidence d’un corps explosait, nous le voyons n’est ce pas  ce corps? il semble réel ? eh bien non ! les patients psychotiques pouvaient ne pas se voir, ne pas ressentir leur corps, ne pas « voir » le lien à un autre .   Le froid ,le chaud, ils pouvaient ne pas ressentir comme  la douleur ( je me souviens de cet homme, le médecin lui disait qu’il ne croyait pas qu’il était immortel comme il le lui affirmait. Il le lui prouva qu’il était immortel ! Il se mit un coup de couteau dans le coeur, enfin, dans la région du coeur car il n’en mourut pas. Quatre jours ,il est venu à l’hôpital de jour, ainsi, sans que nous  voyons quoi que ce soit. Il leva  devant le médecin son tee shirt ,un jour :  » vous voyez que je suis immortel » .

 Son couteau était là enfoncé dans sa poitrine. Il avait glissé sur une côte avons nous appris après. )

« les psychotiques ne cessent d’osciller entre vivre et ne pas vivre : ce problème n’est pas seulement le lot des névrotiques, mais de tous les humains.  « .a écrit Winnicott. 

            Cette fameuse identification archaïque orale au père de la préhistoire dans les termes freudiens, que le psychanalyste Heitor O’ Dwyer traduit par   » identification à un lieu « , me paraîtrait comme le territoire, l’espace qui crée la  base indispensable appui pour la pulsion. Indispensable appui pour que la pulsion dans son exigence d’action , que sa poussée crée de la forme. Cet appui  me paraît  espace psychique, ancrage de  la mise en forme de la poussée du  pulsionnel.

         Chez nos patients, nous pouvons supposer que cet appui n’est pas « fiable ». 

             Winnicott , dans l’article  » la localisation de l’expérience culturelle », écrit :

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 » Cependant, pour le  bébé ( si la mère peut offrir de bonnes conditions), chaque détail de sa vie est un exemple de vie créatrice.Tout objet est un objet » trouvé. « la chance lui en est elle donnée, voici que le bébé commence à vivre créativement, à utiliser les objets existants pour être créateurs en eux et avec eux. Mais si cette chance ne lui est pas donnée, il n’est pas d’aire dans laquelle le bébé pourrait avoir un jeu ou une expérience culturelle. Il s’ensuit alors qu’il n’y a pas de lien avec l’héritage culturel et qu’il n’y aura pas de contribution au lot culturel. « 

                               L’artiste, Baya nous le  » rappelle « . Ce faisant, elle met le clinicien sur la piste du cheminement de la poussée pulsionnelle vers la satisfaction. Au travail donc de penser la métapsychologie … 

                         Avant de conclure, je vous raconte cette petite anecdote : un autre artiste, un autre art : 

     Je suis allée un jour écouter  le grand chorégraphe William Forsythe répondre aux journalistes sur son travail. La journaliste lui demande comment il fait quand il arrive dans une ville nouvelle, un théatre nouveau.  comment fait il quand il a à créer une nouvelle pièce chorégraphique .J’imaginais entendre la recherche :  mouvements ,recherche chorégraphiques idées musique ….Ce fut : Dans le théatre vide, je vais sur scène et, je regarde l’espace. A partir de cet espace ma chorégraphie se construit. de l’espace perçu s’ouvre  l’espace de  la pensée du chorégraphe, c’est dire le mouvement . 

      De cette fameuse » structure « dont parle Winnicott,  se crée un espace, celui pour la pensée.   Cela nous » l’oublions « . L’oeuvre artistique ne l’oublie pas le temps de l’oeuvre, porteuse de l’union et de la séparation. 

                                Je terminerai par la parole de Jean Oury qui parle du « corps comme articulation « , le « Travail de la pensée », travail de culture, n’est pas  celui de intellect, du savoir, mais celui de l’élaboration psychique dans la relation à l’autre non conçu comme tel,un savoir,  fruit de l’insu . »En ce sens, j’entends ce que le poète Jean Sénac adresse à Baya : 

          » Tu m’apprends à penser

            A vivre comme tu es 

         Matinale arrachée à l’obscure demeure  » 

                       Oui, son oeuvre transmet au psychanalyste l’impensable oublié … ce temps qui, le  » lot de tous les humains », est. Son oeuvre  m’a conforté dans l’idée d’une psychanalyse qui n’est pas une psychopathologie. 

 

Nicole Auffret 

22 Mai 2015 

 

             

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Groupe de lecture La Nature Humaine

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Après la lecture de « Fragment d’une analyse « , nous continuons la lecture de l’œuvre de Winnicott. Le livre choisi, cette fois,  est  » la nature humaine  » . 
La modalité de travail est identique à celle pratiquée pour le livre précédent : 
– chapitre par chapitre, tout le groupe lit, une personne du groupe présente sa lecture . 
– nous croisons cette lecture à d’autres textes de Winnicott, comme à d’autres textes analytiques .
            * Ce groupe sera fermé lorsqu’il sera constitué de 10 personnes . 
            *  Le premier lundi du mois de 21 h à 22 H30, au local de la SPF .
pour s’inscrire s’adresser à:
Nicole Auffret 
Tél. 0666064605
 

Nouveau groupe de lecture et de recherche

« La consultation thérapeutique et l’enfant »

proposé par Jean-François SOLAL

 

Plus précisément en anglais, les consultations thérapeutiques en psychiatrie infantile. En 1971, Winnicott réunit dix sept cas d’enfants ayant eu le plus souvent un entretien unique avec Winnicott; ce fut notamment l’occasion de développer sa technique du squiggle (les dessins figurent dans le recueil). Une technique? « C’est à peine si l’on peut parler de technique, l’échange entre le thérapeute et le patient est beaucoup plus libre que celui qui s’établit au cours d’une cure psychanalytique orthodoxe. » écrit-il dès la première page de son introduction. La publication de cet ouvrage a une double et peut-être une triple intention: d’abord faire part de son but, « établir des communications avec les enfants« , il souligne ces mots. C’est le premier des buts qu’il offre à son enseignement. Ensuite, transmettre aux étudiants non une méthode, mais son « plaisir, enjoyment: je ne veux pas montrer une technique mais jouer de la musique » (il ne méconnait pas pourtant qu’il faut bien savoir la technique du violoncelle avant de prétendre jouer de la musique!). Enfin, il est convaincu que ces entretiens uniques ont une grande valeur thérapeutique et pourraient faire parfois l’économie de thérapies longues et coûteuses. 

La fonction thérapeutique et la fonction d’enseignement de ces entretiens n’a pas échappé aux psychanalystes français comme Diatkine et Lébovici qui y ont vu une possibilité d’associer les familles et l’enfant au travail thérapeutique. Je me souviens aussi avoir partagé leur plaisir grâce aux premières captations vidéo qu’ils montraient aux étudiants que nous étions, au centre du secteur pilote de pédopsychiatrie, dans les années 70. 

Je propose donc que six ou sept collègues, pas plus, me rejoignent un soir par mois, à mon domicile (centre de Paris) pour réfléchir et commenter ensemble une lecture préalable de un ou deux cas à chaque session. Nous pourrions confronter cette clinique avec la nôtre, comprendre in vivo sa théorie dont il écrit: « ma seule compagne est la théorie que je porte en moi ». Notre lecture devrait (devra?) rapidement ouvrir une voie de recherche qui serait (sera?) proposé ultérieurement à communication, au sein de notre groupe français, et pourquoi pas au sein de l’IWA international.

Suivant notre envie, nous pourrions nous intéresser aux douze premier cas, soit une année de travail environ, en laissant de côté la troisième partie consacrée aux cas antisociaux, soit une année et demi de travail en intégrant cette troisième partie.

Vous me téléphonez sur mon mobile si ma proposition vous intéresse.

 

Jean-François Solal, 

0614461281.

Couv consultation thérapeutique de l'enfant